La première rencontre avec Léa à la pouponnière a été « hyper stressante et frustrante » car les parents ne peuvent pas prendre l’enfant dès le départ ; les échanges ne sont que visuels et auditifs. La frustration pour Béatrice a été tellement forte qu’elle n’a pu s’empêcher de demander à toucher les pieds de sa fille. L’adaptation à la pouponnière s’étant déroulée classiquement, Béatrice passe assez vite sur ce sujet. Par contre, la première nuit à la maison est importante notamment car elle a ressenti pour la première fois la notion de responsabilité qu’induit la parentification. Cette nuit là, Léa a pleuré : « j’pense qu’elle rêvait » et « on s’est redressé comme deux… deux pantins dans le lit » pour aller vérifier que tout aille bien ; Béatrice énonce, ici, qu’elle a eu à prendre soin de sa petite fille, d’être près d’elle et de s’assurer que tout aille bien.
Ensuite, cette mère ressent beaucoup fierté lorsqu’elle raconte que le lendemain à la pouponnière « elle a fait le foin toute la nuit » alors que chez eux mis à part « ce petit… sursaut » qu’une caresse et un bisou ont rassuré, tout s’est très bien passé. Beatrice l’explicite : « c’est bien, on est content qu’elle ait pleuré pour signaler, bin qu’en fin de compte elle préférait être ailleurs ». Elle ajoute « elle a montré que… bin voilà c’était terminé la pouponnière pour elle et qu’elle voulait regagner sa maison ». On voit ici à quel point cette femme, devenue mère, a investi sa fille. L’intensité émotionnelle du moment nous fait penser que l’accès au statut de mère a été extrêmement rapide à partir de la lecture du prénom « Léa » sur l’enveloppe et dans le même temps si long à atteindre dans l’histoire de cette femme.
Beatrice considère que sa relation avec Léa évolue « comme des parents normaux » ; la normalité est un élément très présent tout au long de l’entretien. Cette mère met en lien l’évolution de sa relation à sa fille avec l’histoire propre à Léa. Elle explique qu’effectivement c’est « un sujet qu’il faudra aborder mais bon sans… on veut pas, on veut pas la perturber non plus hein ». Elle parle sans l’expliciter du passé de Léa qui semble pouvoir mettre en doute sa place de maman. Elle pense qu’il faut que sa fille « fasse ses… son ancrage dans la famille ». Mais est-ce Léa qui doit faire son ancrage dans la famille ou Béatrice ? Je propose cela, d’autant plus, qu’elle poursuit en disant que Léa est en vacances avec sa cousine chez ses grands-parents et qu’elle a « le même traitement que les autres ». Béatrice peut dire que c’est plus difficile pour elle et son mari « d’aborder les choses voilà… ». Comme j’ai déjà commencé à l’évoquer penser aux origines de Léa fige complètement Béatrice : « c’est sur ça fait parti de son histoire mais pour moi c’est comme si y’avait rien ! Voilà ! ». C’est très dur de faire le deuil des origines biologiques et d’accepter que Léa soit dans leur famille grâce à un autre couple. Pour Béatrice, ce qui fait d’elle une mère c’est sa « fille à part entière ». Pour l’instant, cette mère ne peut aller plus loin dans l’élaboration du passé de sa fille qui est inséparable de cette dernière. Béatrice commence l’histoire de Léa à la pouponnière mais pas avant. Elle a peur que l’histoire de Léa endommage leur relation : « je pense que ça nous polluerait plus qu’autre chose ». En outre, Béatrice considère comme étant son rôle de mère d’accompagner Léa si « elle souhaite aller voir dans son dossier si y’a quelque chose ». Elle souhaite être à « ses côtés pour l’accompagner » comme le ferait tout parent pour son enfant lors d’un événement de vie quel qu’il soit. Béatrice peut l’envisager car c’est dans un futur assez lointain donc elle s’y projette sans vraiment l’inscrire dans la réalité immédiate.
Dans tout le discours de Béatrice j’observe qu’elle a besoin d’être valorisée dans son rôle de mère et la petite Léa sait faire plaisir à sa maman, en voici un exemple : « elle me mimique beaucoup, oui, elle veut faire comme maman ».
A demain!
Anne-Solène Gatzoff, Psychologue Tresses
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