Suite et fin …
Avant d’avoir les photos de Léa pour Béatrice « il n’y avait pas de visage… c’était un bébé sans visage… on était dans le flou… y’avait pas de projection ». Nous pouvons faire l’hypothèse que les épreuves passées ont causé un défaut de représentation chez cette mère.
L’image de Béatrice sur son enfance est relativement endommagée, elle envisage donc le meilleur pour sa fille « j’aimerai qu’elle fasse ce qu’elle a envie de faire ». Et contrairement aux bâtons que son père lui a mis dans les roues elle voudrait « en tant que parent, bin lui donner les moyens de faire ce qu’elle a envie de faire ». Elle exprime par là le fait de ne pas vouloir reproduire la même chose avec sa fille dans le souhait de réparer ; elle illustre ici l’enfant imaginaire. Les enjeux de réparation de son propre vécu infantile sont présents ayant pour but de faire avec sa fille ce qu’elle aurait voulu que son père fasse avec elle. La dénégation qui suit « mais bon, moi je me plains pas parce que c’était peut être une manière pour lui de me motiver » indique l’affection de Béatrice pour son père qui reste malgré tout son père. Ce détail est important car le fait que les souvenirs ne soient pas trop virulents permet l’accès à la parentalité.
« Enfin, je souhaite pas que Léa vive ça. Parce que bon je dis, c’était un peu dégueulasse même si le but est atteint. » Béatrice est bien dans un souci de réparation par rapport à son enfanceet à la relation avec son père. Pour corroborer tout cela, nous observons que Béatrice projette une image idéale sur Léa : « on pense qu’elle a des capacités parce qu’elle enregistre très vite ».
« C’est vrai que Léa, on l’a tellement attendue qu’on veut que tout se passe bien quoi. Je pense que tous les parents adoptants sont là… et puis lui donner les parents qu’elle… qu’elle a… dont elle avait besoin, dont elle aspire… Enfin je sais pas comment dire ça ! » Cette mère a l’image d’un objet interne vécu comme endommagé, abimé ou encore abandonné. Nous pouvons poser l’hypothèse qu’elle se vit comme responsable des dommages causés par le passé de Léa.
« Heu… on veut être les… les, comme ses parents normaux, voilà, une famille normale. » Béatrice investie sa fille, se place en position de mère en référence à la relation qu’elle a connue avec ses propres parents. C’est avec la représentation que l’on a de nos parents que l’on devient parent à notre tour. Béatrice dit reproduire avec son mari ce qu’elle reconnait comme constructif et idéal dans le couple de ses parents comme le fait de consulter l’autre pour une décision importante concernant l’enfant.
Avoir un enfant est une norme sociale incontournable et ce qui vaut pour la naissance naturelle d’un enfant vaut aussi pour l’arrivée d’un enfant adopté dans sa famille. Le cadre juridique dans cette famille reste invisible tant qu’il est satisfaisant pour chacun ou tant qu’il est vécu comme une évidence. Cette famille pas comme les autres est devenue une famille comme les autres.
Anne-Solène Gatzoff, Psychologue Tresses