Le temps de la réflexion, de l’élaboration et de faire le vide est un don à faire aux futurs parents, comme le dit très justement Lévy-Soussan (2010).
Un temps pour explorer, débroussailler la naissance du projet, son origine particulière, le désir d’enfant au sein d’une histoire individuelle, de couple puis le début du chemin vers l’enfant à venir, tel qu’on l’imagine et tel qu’il peut être dans la réalité de l’adoption. Permettre aux mères et plus largement aux parents de cheminer au plus profond de leur esprit. Ils pourront examiner les murs de leur psychisme afin de s’assurer qu’ils sont suffisamment porteurs pour compenser les fragilités et les vulnérabilités propres à l’établissement de la filiation adoptive. « Le cheminement vers l’enfant à venir se double toujours d’un cheminement en soi-même destiné à préparer au mieux cette maison psychique parentale que l’enfant va habiter » (Lévy-Soussan, 2010).
Dans la maternité classique, la mère dispose d’un laps de temps de neuf mois durant lequel elle vit une grossesse physique lui permettant d’anticiper de façon précise l’arrivée de l’enfant. De son côté, la mère adoptante sait que la procédure d’agrément dure également environ neuf mois, néanmoins une période de cinq ans d’attente, en moyenne, s’en suit. Cette attente permet au processus de maturation psychique de s’élaborer, au projet d’enfant de s’ancrer dans la vie du couple qui se consolide et à la parentalité de se construire. Nous pouvons dire que les parents vivent une « gestation symbolique » (Golse, 2004). La mère tente à cette occasion d’élaborer le deuil de la transmission génétique. Ce deuil ou cette acceptation peut prendre des années voire même ne jamais arriver.
Lorsque l’annonce d’un enfant est signifiée aux mères, le basculement du rêve à la réalité provoque un état émotionnel et psychique spécifique. Cet état semble être analogue à l’annonce d’une gestation réelle par le corps médical. Apprendre l’arrivée prochaine d’un enfant provoque un état psychique fait de craintes, d’espoirs, de doutes et de joies qui peu à peu rendront plus réelles l’arrivée de l’enfant. Le temps entre l’annonce et la rencontre va permettre l’émergence de pensées anticipatrices sur l’enfant au moyen des photos données et des informations précisées sur son histoire.
Pour Béatrice comme pour toutes les mamans, l’enfant à venir est porteur de promesses extraordinairement valorisées. Elles énoncent toutes des rêves, des fantasmes et des projections sur cet enfant. Seulement, tout enfant qui naît confronte ses parents à un inconnu. Celui qui vient au monde n’est pas l’enfant dont ils avaient rêvé. La construction des liens de filiation va leur permettre de réduire cette étrangeté et de le situer comme appartenant à leur lignée. C’est en cela que « Dolto pouvait dire qu’il n’y a d’enfant qu’adopté » (Marinopoulos, Sellenet & Vallée, 2003). Les conflits inconscients de la mère renvoient à la mère, l’enfant qu’elle n’a pas été par rapport au désir de ses propres parents et va les reporter sur son propre enfant. Il s’agit des enjeux de réparation du vécu infantile de la mère.
Les parents offrent à l’enfant des images d’adultes qui se transforment en parents, en garants de sa vie, présente et future, en « toujours là ». Ces images actives l’aident à surmonter ses angoisses, ses craintes qui donnent à son psychisme l’assurance nécessaire pour découvrir la vie, se lancer dans le monde et affronter l’inconnu sans se mettre en danger (Lévy-Soussan, 2010). Ainsi, les parents traversent avec leur enfant les différentes phases de leur construction psychique en s’étayant sur leurs pensées, en s’aidant du récit de leur vie et de celui de leur enfant. Les parents permettent à l’enfant d’intégrer leur récit sur son propre passé grâce à leurs mots, à leur bienveillance, à leur sérénité, à leurs doutes et à leurs craintes surmontées. Nous l’avons découvert précédemment, Béatrice a un besoin extrême de sa fille qui la valorise, lui fait du bien, la responsabilise en tant que mère. Quelque chose d’essentiel est évoqué ici : une partie de nous-mêmes ne devient-elle pas adulte au moment où nous avons une famille ? En tout cas, si tel est notre souhait, n’est-ce pas une période propice pour se sentir adulte et responsable d’un petit être dépendant de nos soins ; prendre soin d’autrui permet de se sentir indispensable. La pratique de la parentalité telle qu’elle est définie par Houzel soutient notre pensée, nos actes et notre psychisme.
Je souhaite approfondir quelque peu la difficulté dans laquelle se trouvait Béatrice au moment de nos entretiens avec Léa à propos de son vécu avant la pouponnière. Dans ces filiations particulières, il est important que les parents puissent supporter ce fantasme d’éviction de leur position parentale. Ce point capital se reflète dans l’attitude que les parents prendront lorsqu’ils seront confrontés aux questionnements plus ou moins explicites de leur enfant. Lévy-Soussan (2002) nous avise qu’« ils pourront être en difficulté en raison de la résurgence de leur culpabilité ou voudraient que tout soit encore refoulé ». Cela ne faisant que renforcer la position agressive oedipienne de leur enfant. D’autres, ajoute Lévy-Soussan (2002), qui n’ont pas conservé une trop grande culpabilité par rapport à leur propre roman familial, toléreront ce fantasme ambivalent et aideront leur enfant à dépasser ce stade normal. J’apprendrai dans les semaines suivant les entretiens que Béatrice a réussit à se distancier par rapport à l’histoire de sa fille et à être rassurée dans sa place définitive de « maman » pour l’accompagner au mieux. En effet, elle est maintenant prête à répondre aux interrogations de sa fille de manière sereine permettant à Léa de travailler son histoire dans un climat sécurisant.
Voilà, j’espère que ce sujet vous aura passionné autant qu’à moi. L’adoption suppose une qualité humaine particulière qui s’articule aussi sur un désir de fonder une famille. C’est là où s’origine l’enfant : dans le rêve parental ; « naissance dans une famille et de la famille »(Kaës, 2000).
Bonne journée!
Anne-Solène Gatzoff, Psychologue Tresses